Egypte-Ethiopie: La guerre de l’eau
Le barrage de la Renaissance construit sur le Nil Bleu provoque une grave tension entre l’Ethiopie et l’Egypte qui joue sa survie. Dépendant à 90% des eaux du Nil, l’Egypte lève le ton et cherche le soutien des États-Unis pour arracher un accord. Retour sur la genèse de ce conflit qui menace la stabilité de l’Afrique de l’Est.
Il s’agit d’un casse-tête diplomatique et une partie d’échec qui implique non seulement les pays concernés, l’Égypte, l’Éthiopie et le Soudan, mais également les puissances mondiales et régionales.
On rembobine. Un traité de 1929 a donné à l’Égypte et au Soudan des droits sur presque toutes les eaux du Nil. Le document de l’époque coloniale donnait également à l’Égypte un droit de veto sur tout projet des pays en amont qui aurait une incidence sur sa part des eaux.
L’Ethiopie qui avait entamé un cycle économique vertueux grâce aux investissements chinois et à la résolution du conflit avec son voisin l’Erythrée, décide que le pays ne devrait plus être liée par ce traité vieux de plusieurs décennies et se lancer, en 2011, dans la construction du barrage de la Renaissance, le plus grand ouvrage hydroélectrique d’Afrique, sur l’affluent du Nil Bleu dans les hautes terres du nord de l’Ethiopie d’où jaillissent 85% des eaux du Nil.
Le thé ou l’électricité
Près de 90% des réserves en eau de l’Egypte proviennent du Nil. Depuis le président Nasser, le niveau de ce fleuve vital pour le pays a toujours été une ligne rouge même si le pays ne maitrise pas sa source en amont.
Si l’Egypte a intériorisé l’idée d’un barrage en Éthiopie, les deux pays ont buté sur la manière dont il sera désormais géré. Du point de vue de l’Egypte, un remplissage rapide et brutal du barrage causera un grave déficit en eau pour les égyptiens.
Pour débloquer la situation, le Caire veut que le remplissage s’étale sur dix ans, exige un minimum de 40 milliards de m3 par an et que des ingénieurs égyptiens soient présents sur le chantier.
En effet, la principale préoccupation des Egyptiens est que si le débit d’eau baisse, cela pourrait affecter le lac Nasser, le réservoir plus en aval, derrière le barrage d’Assouan en Égypte, qui produit la majeure partie de l’électricité du pays.
Par ailleurs, si le niveau de l’eau est trop bas, cela impactera directement le transport fluvial en Egypte, et menacer l’existence de millions d’agriculteurs.
De l’eau dans le gaz
Long de 1,8 km et haut de 145 m, avec une capacité de 74 milliards de m3 d’eau, le barrage de la Renaissance est considéré par l’Ethiopie comme le projet le plus structurant de son histoire et souhaite remplir ce réservoir sur une période de quatre à sept ans, et produire de l’électricité en vue l’export et pour le réseau national.
En effet, deux turbines seront mises en service en 2021, et la mise en production complète étant projetée en 2023, d’après les assurances présentées par Seleshi Bekele, le ministre éthiopien de l’Eau, de l’irrigation et de l’énergie. A terme, le barrage doit assurer une production de 6 000 mégawatts.
Pour éviter l’escalade dans la région, la diplomatie américaine a pris les devants au mois de février, invitant les trois pays concernés à signer un accord sur la durée de remplissage du barrage. Mais l’Ethiopie a décliné l’invitation, appelant les Américains à « clarifier leur rôle, et laisser les pays trouver un accord eux-mêmes. »
Pour calmer les deux parties, le président Donald Trump a promis au président al-Sissi que les efforts de Washington allaient continuer pour arracher un accord. De son côté, le président égyptien a manœuvré dans les coulisses de la Ligue arabe qui affiché un soutien inconditionnel à l’Égypte et rappelé les « droits historiques » du Caire sur les eaux du Nil, en demandant à Addis-Abeba de ne pas remplir le barrage sans accord préalable. De quoi causer un raidissement dans la position de l’Ethiopie. Affaire à suivre.