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Brahim El Mazned: « Cette période de confinement a démontré le rôle central de la culture dans la cohésion sociale »

Annulations de festivals, activités en arrêt, pertes d’emplois… Le secteur culturel en Afrique, déjà fragile, est touché de plein fouet par la crise économique liée à la pandémie de Covid-19. Brahim El Mazned, Directeur Fondateur de Visa For Music, et Directeur artistique du festival Timitar, nous éclaire sur la situation actuelle des artistes en Afrique et l’avenir de la chose culturelle sur le continent après la crise liée au nouveau coronavirus.

 

Le secteur culturel est lourdement impacté par le coronavirus… comment les artistes africains vivent-ils cette situation ?

 

Ce secteur est de nature précaire, en Afrique comme dans beaucoup de régions du monde, mais cette crise met en évidence sa fragilité et sa précarité. De plus, dans notre région, l’informel est un mal qui n’arrange pas le secteur.

 

Les artistes africains basés sur le continent ou ailleurs, jeunes et moins jeunes sont très créatifs, dynamiques et résilients. La preuve en est la qualité des débats des artistes ainsi que la qualité des productions diffusées sur le net pendant le confinement.

 

Ceci dit, concernant le secteur de la musique, un rapport réalisé par Music in Africa, auquel nous avons participé, révèlent les conséquences financières de la crise du Covid-19. Parmi les personnes interrogées, il apparaît que 65 % des professionnels individuels et 70 % des entreprises culturelle n’ont pas d’autres sources de revenus que leur activité principale qui a été interrompue. Les pertes financières vont de de quelques milliers à plus d’un million de dollars pour un petit pourcentage des répondants.

 

Beaucoup  d’acteurs culturels se sont dirigés vers le web et ont digitalisé leurs œuvres et événements pour contrer l’impact du coronavirus… Comment les artistes africains gèrent-ils cette crise? Que font-ils pour s’en sortir?

 

Présent à la fois dans la création, la diffusion et la consommation, le numérique est aujourd’hui complètement intégré dans les pratiques artistiques, et cela bien avant le Covid-19. Pendant cette crise, les œuvres partagées grâce aux outils du numérique ont contribué à atténuer les effets d’isolement dus au confinement et sans doute aussi à donner de la visibilité aux artistes, y compris auprès de publics moins habitués à consommer de la culture et des arts. Cependant, la place des artistes et de leurs œuvres est sur la scène ou dans les espaces où ils peuvent être en contact avec le public pour vivre ensemble une expérience sensible.

 

Par ailleurs, le retour aux artistes reste extrêmement faible voire inexistant. Toutes les offres dont le public a pu bénéficier étaient gratuites, c’est-à-dire sans rémunération pour les artistes. De plus, à l’instar de Facebook, beaucoup de plateformes de diffusion ne paient rien aux artistes. Il est donc indispensable de mener une réflexion sur la manière dont ces outils de diffusion peuvent être source de rémunération.

 

Certains pays, qui ont des sociétés de récolte et de gestion collective des droits transparente (Sénégal, Burkina Faso ou le Maroc), ont participé à atténuer les conséquences économiques en payant leurs dus aux artistes et ayant-droits, au moins en partie.

 

Les artistes et opérateurs culturels se sont également tournés vers les bailleurs de fonds. Nous saluons d’ailleurs les initiatives d’appels à projets dédiés aux artistes pour les aider dans cette période de crise, notamment d’Africalia ou du Fonds africain pour la culture. Dans une certaine mesure, ils pallient ainsi aux défaillances des gouvernements qui ne font pas de la culture une priorité. Néanmoins, certains pays comme le Bénin, le Sénégal ou la Tunisie ont créé des fonds spéciaux pour soutenir les entreprises culturelles et les créateurs. A l’échelle du continent, malheureusement pour beaucoup de pays la culture n’est pas la priorité même si les artistes ont fait un travail formidable de sensibilisation au Covid-19 et de partage de leurs œuvres.

 

Ceci dit, bien évidemment la chose culturelle n’est pas liée uniquement aux institutions publiques, les mécènes et les entreprises de notre continent devraient se mobiliser en faveur des artistes et des entreprises culturelles

 

Est-ce qu’il y a une stratégie pour relancer le secteur culturel en Afrique?

 

Les politiques culturelles, lorsqu’elles existent, sont totalement différentes d’une région à une autre et chaque pays a sa propre stratégie.

 

En tant que professionnels de la culture sur le continent, à travers nos réseaux (Music in Africa, Arterial Network…), nous essayons de sensibiliser les pouvoirs publics sur l’importance d’investir dans la culture sur le plan régional et à l’échelle du continent. D’ailleurs, en ouverture de Visa For Music, nous prévoyons d’organiser un Forum sur les Industries Culturelles et Créatives en Afrique avec la participation d’acteurs culturels, d’artistes de décideurs institutionnelles et économiques. Les objectifs sont notamment de mettre en valeur le secteur culturel dont le potentiel constitue un levier fondamental pour la promotion d’une économie soutenue, partagée et durable dans une dynamique constructive ; d’échanger sur les différentes pratiques et d’alimenter la réflexion sur la meilleure façon de soutenir les artistes et les institutions culturelles.

 

Visa For Music se tiendra toujours cette année ? Quels sont les artistes africains qui y seront conviés ?

 

Oui, malgré les incertitudes quant à l’évolution de la pandémie et les mesures qui seront prises, nous ne devons pas rester dans la passivité. Il nous tient à cœur de pouvoir maintenir ce rendez-vous qui est attendu. C’est l’une des rares manifestations d’hiver et un événement important pour la ville. Nous attendons de la part des pouvoirs publics d’investir plus dans la culture et nous comptons sur la fidélité de nos partenaires pour pouvoir organiser l’événement.

 

Suite à l’appel à candidatures, clôturé dernièrement, nous avons reçu presque 800 candidatures ce qui montre à quel point les artistes croient à l’importance de ce rendez-vous et sont désireux d’aller à la rencontre du public. Actuellement, nous sommes en phase d’écoute et de pré-sélection.

 

Comment voyez-vous l’avenir de la culture en Afrique après cette crise ?

 

Albert Camus a dit « Il faut penser les mots pour panser les maux ».

 

Nous ne pouvons pas panser la culture, ou imaginer l’avenir de la culture, sans penser à une nouvelle façon d’investir la chose culturelle. Nous avons senti pendant ce confinement une soif extraordinaire de la part de tous, la culture et les arts ont accompagné ces moments. Quel que soit son mode d’expression, la culture a permis de maintenir des liens sociaux malgré les mesures prises pour contenir la pandémie. Cette période d’enfermement a également démontré le rôle central que joue la culture dans le renforcement de la résilience et de la cohésion sociale.

 

Il faut rendre hommage aux artistes en mettant la culture au cœur des nouveaux modèles de développement.

 

Nous voyons les moyens importants mis sur les industries lourdes. La culture ne doit pas passer à la trappe, elle doit également pouvoir bénéficier de moyens qui permettent aux artistes de rebondir et exprimer toute leur créativité.

 

Les grands événements de l’Histoire ont chacun des modèles de réussite post-crises et les pays qui s’en sont le mieux sortis sont ceux qui ont investi dans la culture : le New Deal de Roosevelt après la crise de 1929, la construction de l’Europe après la seconde guerre mondiale ou la reconstruction des Balkans après les guerres de Yougoslavie à travers la culture.

 

Et nous ne pourrons pas avancer sur notre continent sans mettre la jeunesse et les femmes au cœur du développement. Le secteur culturel est le plus attractif et celui dans lequel les jeunes et les femmes s’investissent avec beaucoup d’épanouissement.

 

 

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