Interview. Adama Wade: » La ZLECAF installe les industriels et les opérateurs économiques africains dans une nouvelle échelle de grandeur »
La zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) est entrée officiellement en vigueur le 1er janvier 2021. Ce vaste marché de plus de 1,2 milliard de personnes a pour but de booster le niveau des échanges intra-africains pour les faire passer de 16% aujourd’hui à 60% en 2034. Pour en savoir plus sur ce tournant historique de l’intégration africaine, Adama Wade, Directeur de publication du Financial Afrik, nous livre sa propre analyse.
LesPanafricaines. Si on part du constat que la majorité des 40 pays signataires dépendent principalement exportations des matières brutes, que peuvent-ils échanger concrètement ?
Adama Wade. Il est vrai que dans leur configuration actuelle, la majorité des pays africains sont des exportateurs de matières premières à l’état brut. La mise en place de la ZLECAF, un marché potentiel de 1,2 milliard de consommateurs dont 300 millions appartenant à la classe moyenne, va stimuler les investissements dans les secteurs des biens et services.
Tant qu’il ne s’agissait que de petits marchés à faibles pouvoirs d’achat, avec des contraintes logistiques et réglementaires dissuasives, l’Afrique ne pouvait développer des produits manufacturiers et de consommation courante. La ZLECA installe les industriels et les opérateurs économiques africains dans une nouvelle échelle de grandeur. Les Africains ont beaucoup à échanger, des voitures fabriquées ou assemblées au Maroc et au Nigeria, aux téléphones et produits de luxe Made In Africa, en passant par le pétrole brut angolais, nigérian, tchadien etc, qui pourraient bien être raffinés sur le continent.
Bref, les pays africains ont tout à échanger, à condition qu’il y ait un marché bien régulé. Le commerce inter africain représente actuellement 16% et devrait s’accroître significativement avec ce marché. Il devrait passer rapidement à plus de 60% selon toutes les projections.
Le continent africain fait l’objet d’une bataille à couteaux tirés entre les grandes puissances. Est-ce que la ZLECAF ne risque pas de profiter à ces puissances au détriment des pays du continent ?
Il est clair que si la question de la ”règle d’origine” n’est pas clairement définie, nous risquons de voir un marché commun qui serait la chasse gardée des produits étrangers sous étiquette “Made in Africa”.
Cette question de la règle d’origine constitue le point d’achoppement des négociations et a été d’ailleurs la principale raison avancée par le Nigeria et l’Afrique du Sud dans leurs hésitations à adhérer à l’accord lors de son lancement en 2018 à Kigali.
L’autre question qui pourrait retarder le développement du marché résiderait dans la non-résolution rapide des questions liées aux barrières non tarifaires. À ce propos, la Banque Mondiale indique que sur les 450 milliards de dollars de revenus supplémentaires générés par la ZLECAf, 292 milliards proviendraient du renforcement des mesures de facilitation des échanges qui visent à lever les freins bureaucratiques et à simplifier les procédures douanières. La libéralisation des tarifs douaniers est importante, mais à elle seule, elle n’augmenterait les revenus du continent que de 0,2 %.
Dans le but d’atteindre 60% d’échanges intra-Afrique d’ici 2034, quelles sont les réformes structurelles au niveau politiques et économique que doivent réaliser les pays concernés ?
La ZLECAF est une étape fondamentale dans l’agenda 2063 devant donne naissance aux États Unis d’Afrique. Nous en sommes à une sorte de première étape qui passe par des réformes des politiques économiques africaines appelées à éliminer les barrières tarifaires et non tarifaires et à harmoniser la règle de droit en matière de commerce de biens et services, mais aussi de liberté de circulation et de droit d’établissement. Il faudra une volonté politique forte et une forte adhésion populaire pour concrétiser la ZLECAF à l’échelle de l’Afrique.