La flambée des prix alimentaires menace la stabilité de plusieurs pays
Il ne manquait plus qu’elle: l’inflation a gagné les prix alimentaires mondiaux, au plus haut depuis près de dix ans, accentuant encore les difficultés de pays vulnérables, pas encore sortis de la pandémie.
Une situation préoccupante selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui n’exclut pas des troubles sociaux dans certains pays.
Ils ont bondi en mai de près de 40% sur un an, atteignant leur plus haut niveau depuis septembre 2011, selon la FAO. La hausse est de 88% pour le maïs, 73% pour le soja, 28% pour le blé et les produits laitiers, 34% pour le sucre et 10% pour les viandes.
En 2007-2008, la hausse brutale des prix des matières premières alimentaires avait déclenché des émeutes de la faim dans diverses villes du monde. Les prix avaient culminé en 2010-2011, période coïncidant avec les débuts du Printemps arabe.
Après la crise économique déclenchée par le Covid-19 en 2020, combattue par de gigantesques plans de relance, la reprise est vigoureuse et s’accompagne d’une hausse des prix. La Banque mondiale prévoit 5,6% de croissance mondiale cette année.
La Chine, qui devrait afficher une croissance de 8,5% en 2021 selon cette institution, achète à tour de bras oléagineux, céréales, viandes…
« C’est vraiment la Chine qui est aujourd’hui le facteur déterminant de la flambée des prix alimentaires », considère l’économiste Philippe Chalmin.
Aux Etats-Unis, la reprise est prononcée aussi (+6,8% attendus par la Banque mondiale).
Autres facteurs inflationnistes: la sécheresse au Brésil, l’augmentation du prix du pétrole et l’explosion des prix du fret maritime.
Mais la reprise est « très inégale » dans le monde, souligne Josef Schmidhuber, économiste à la FAO. Elle est moins forte dans les pays en développement, dont les revenus augmentent peu alors que leur facture alimentaire augmente de façon « considérable ».
Menace de troubles
Difficile à dire. Pour le moment, le département américain de l’Agriculture table sur une production mondiale record de blé pour la campagne commerciale 2021-22. Il s’attend aussi à des récoltes record pour le soja brésilien et le maïs américain. Si cela se réalise, cela pourrait détendre les prix.
Mais les conditions climatiques peuvent créer des surprises.
Josef Schmidhuber pense que « les prix vont rester relativement hauts en 2021 », notamment si les prix du pétrole montent encore car « l’agriculture consomme beaucoup d’énergie ».
« Ce qui est certain, c’est que les prix du secteur alimentaire seront encore plus volatils que par le passé », déclare à l’AFP Abdolreza Abbassian, économiste à la FAO.
L’inflation alimentaire dépasse les 20% sur un an pour toute une série de pays, déjà soumis à « d’autres chocs » dont celui du Covid, relève Arif Husain.
Au Liban, confronté à une grave crise bancaire et économique qui a fait plonger la monnaie, la hausse des prix alimentaires a atteint 226% en mai sur un an, selon le site Trading Economics.
En Argentine, elle a été de près de 50%, sur un an, selon ce site, conduisant le gouvernement à suspendre à la mi-mai les exportations de viande bovine pour un mois.
Au Nigeria, l’inflation portée par une forte augmentation des prix des biens alimentaires a fait basculer environ 7 millions de personnes de plus dans la pauvreté, selon la Banque mondiale.
L’alourdissement de la facture alimentaire est d’autant plus douloureux que « les revenus des gens ont beaucoup diminué à cause du Covid », souligne Arif Husain. « Ils sont coincés. »
Il rappelle toutefois que « la principale cause de l’insécurité alimentaire, ce sont les conflits ».
Soulèvements en vue
Abdolreza Abbassian n’a « pas l’impression que les pays soient mieux préparés qu’il y a dix ans à la volatilité des prix » de l’alimentation: « Les mêmes pays plus ou moins qui avaient été confrontés à des émeutes et à une instabilité politique peuvent se retrouver dans la même situation: se réveiller un matin avec des prix qui auront monté très rapidement. »
Pour autant, ce n’est plus comme il y a dix ans « où on pouvait clairement désigner les prix de la nourriture comme la cause principale du mécontentement », note-t-il. « Il y en a beaucoup d’autres », notamment d’ordre politique.
« Les pays riches doivent s’attendre à des soulèvements » dans certains pays, estime-t-il. Cela peut survenir en Afrique, en Amérique latine, en Asie. « Le mécontentement est très répandu. »
« Dans ce genre de situation, il suffit d’une étincelle. Cela peut être le prix de l’alimentation, ou celui de l’énergie, ou juste une mauvaise pluie. »