Analyse. Quel rôle pour l’Algérie dans le Sahel après le retrait de la France
La fin annoncée de l’opération militaire Barkhane menée par la France au Sahel et au Sahara avec des armées alliées relance un débat stratégique en Algérie, deuxième puissance militaire d’Afrique et parrain de l’accord de paix au Mali.
L’Algérie entend jouer un rôle plus actif dans la région, mais ira-t-elle jusqu’à déployer des troupes hors de ses frontières, comme l’y autorise dorénavant sa Constitution?
Le président Emmanuel Macron a annoncé vendredi que la France commencerait son retrait du nord du Mali d’ici la fin de l’année, et Paris ne fait pas mystère de son intérêt à voir l’Algérie s’impliquer davantage dans la région.
« Nous devons parler de l’avenir de nos emprises dans le nord Mali avec la Minusma et avec les Algériens, qui sont directement concernés en tant que pays voisin », confirme une source militaire française.
Après plus de huit ans d’engagement massif, la force Barkhane — la plus importante opération extérieure de l’armée française (5.100 hommes) — va disparaître au profit d’un dispositif resserré, recentré sur les opérations de contre-terrorisme et l’accompagnement au combat des armées locales, autour d’une alliance internationale associant des Européens.
Depuis 2012 et le déclenchement de rébellions indépendantiste et jihadiste, le Mali est plongé dans une guerre qui a fait des milliers de morts, civils et combattants, malgré l’intervention de Barkhane, de forces de l’ONU (Minusma) et africaines.
« La France ne peut plus gérer la situation au Mali », affirme le directeur de l’Institut algérien des études stratégiques et globales (INESG), Abdelaziz Medjahed.
« Elle a échoué en raison de ses idées d’ex-Etat colonialiste qu’elle prône toujours et de l’impopularité des régimes locaux », estime ce général en retraite.
Retour sur la scène régionale
Le Mali reste le théâtre d’attaques de groupes affiliés à Al-Qaïda (dont certains chefs sont algériens) et à l’Etat islamique, et de violences d’autres acteurs armés, milices d’autodéfense ou bandes de malfaiteurs, qui se sont étendues au Niger et au Burkina Faso voisins.
L’Algérie ambitionne de redevenir un acteur clé dans la crise au Mali, son voisin du Sud, avec lequel elle partage 1.400 km de frontières et qu’elle considère comme sa profondeur géostratégique.
« La solution au Mali sera à 90% algérienne », répète le président Abdelmadjid Tebboune.
Privilégiant la carte diplomatique et le dialogue politique, Alger a pris une part très active à l’accord de paix signé en 2015 avec la rébellion indépendantiste pour mettre fin à la guerre au Mali et participe toujours aux réunions du Comité de suivi (CSA).
Le retour aux Affaires étrangères de Ramtane Lamamra, un vétéran de la diplomatie multilatérale, très impliqué en Afrique, signale la volonté d’Alger de reprendre la main après son effacement ces dernières années dans la région.
Un amendement constitutionnel, adopté en novembre, permet à l’Algérie d’intervenir dans des opérations extérieures, dans le cadre de missions de maintien de la paix multilatérales.
« La Constitution algérienne autorise désormais ce type d’intervention, mais la solution n’est pas là », a tempéré le président Tebboune dans un entretien à l’hebdomadaire Le Point.
« Pour régler le problème au nord du Mali, il faut y redéployer l’Etat. Via les accords d’Alger, nous sommes là pour aider Bamako », a-t-il plaidé.
La prudence de mise
Pour Mabrouk Kahi, professeur de sciences politiques à l’université de Ouargla (sud), une intervention au Mali est « peu probable » car l’Algérie est « toujours très prudente, a fortiori lorsqu’il s’agira d’envoyer des forces militaires à l’étranger ».
« L’activité de la diplomatie algérienne est actuellement gelée. Elle avait beaucoup misé sur (le président de transition) Bah Ndaw mais le putsch a brouillé les cartes », relève M. Kahi.
M. Bah Ndaw a été renversé par un coup d’Etat mené en mai par le nouvel homme fort, le colonel Assimi Goïta.
Reste que l’Algérie conserve une forte influence dans le nord du Mali.
« Même si, côté sécuritaire, les Algériens ne sont ni trop visibles ni trop impliqués, ils doivent être au courant de tout ce qu’il s’y passe, pour leur propre sécurité », souligne Reda El Yamouni, chercheur à l’Institut néerlandais de relations internationales Clingendael.
« Ils ont des réseaux et des accès », avance-t-il.
De fait, il existe des liens familiaux ou ethniques entre communautés du nord du Mali et du sud de l’Algérie.
Et les Algériens disposent d’un poids économique et commercial dans la région. A Tombouctou, Gao ou Kidal, les marchés dépendent des importations algériennes (sodas, riz, dattes, etc.)
« Je n’imagine pas qu’après tout ce temps, les Algériens vont changer leur politique de non-intervention. Le statu quo leur convient », prédit le chercheur de Clingendael.
Pour autant, « à chaque fois que nous avons eu besoin de l’Algérie, elle a répondu présent », rappelle l’ex-ministre malien des Affaires étrangères, Tiébilé Dramé.
(AFP)