Sénégal. Affaire Ousmane Sonko-Adji Sarr: un procès à risque qui met à l’arrêt toute la ville de Dakar
Le Sénégal s’apprête à connaitre ce mardi une journée de nouvelles tensions, à l’occasion de l’ouverture en audience spéciale devant la Chambre criminelle de Dakar du procès pour « viols présumés » et « menaces de mort » contre l’opposant Ousmane Sonko, leader du parti Pastef et candidat déclaré à l’élection présidentielle de 2024.
Cette saga politico-judiciaire agite depuis mars 2021 le Sénégal, lorsque la jeune fille, alors mineure, Adji Sarr, une employée d’un salon de beauté à Dakar où Sonko allait, selon lui, se faire masser pour soulager son mal de dos, a décidé de porter plainte contre l’actuel maire de la ville de Ziguinchor, située en Casamance dans le sud du pays.
A chaque fois que s’approche l’audience, les villes sénégalaises, en particulier la capitale Dakar, traversent une situation difficile, marquée par le déploiement d’un imposant dispositif sécuritaire autour et aux alentours du Palais de justice et aussi dans les différents points chauds de la ville.
En prévision de ce procès, les commerces et les boutiques ferment aussi leurs portes durant toute la journée, et les cours parfois sont suspendus dans les écoles et les universités, par crainte d’actes de violences commis par les partisans de l’opposant sénégalais. De même, la société de transport « Dakar Dem Dikk » suspend tous ses services durant cette journée pour éviter que ses bus ne fassent l’objet de saccage de la part de certains manifestants malveillants.
Pour sa part, le Gouverneur de Dakar décide à, la veille de ce procès, la suspension de circulation des motocyclettes et des cyclomoteurs pour des raisons de sécurité, de 06h du matin à minuit, ainsi que la vente de carburants par détail.
Figure montante de la scène politique sénégalaise, l’opposant Ousmane Sonko, 48 ans, est censé comparaître ce 23 mai devant la Chambre criminelle du tribunal régional hors classe de Dakar. Accusé de « viols » et « menaces de mort » par la jeune Adji Sarr, qui officiait dans un salon de massage qu’il fréquentait alors, le président des Patriotes africains du Sénégal pour l’éthique, le travail et la fraternité (Pastef), risque jusqu’à dix années d’emprisonnement.
Sonko dénonçait depuis le premier jour de ce procès, sans toutefois l’avoir démontré, un complot politique fomenté par l’État pour le priver, dit-il, de se présenter à la Présidentielle du 25 février 2024.
Pour dénoncer « les agressions et les menaces multiformes » dont leur leader Ousmane Sonko est victime, les étudiants du parti Patriotes ont décidé de décréter une grève générale dans toutes les universités, lycées, collèges, écoles primaires du pays.
Ces étudiants décrètent, à partir de lundi 22 mai une grève générale et sans limite partout dans le pays pour les universités, les lycées, les collèges et les écoles primaires. «Nous lançons un appel solennel à tous les étudiants et mouvements syndicales épris de justice à venir rejoindre ce mouvement de contestation plus que légitime pour écrire l’histoire», peut-on lire dans leur communiqué.
Ils fustigent «les diabolisations, les attaques, les arrestations arbitraires et les manipulations qui n’ont qu’un seul et unique objectif, selon eux, barrer la route au Président Ousmane Sonko à la prochaine élection présidentielle de 2024».
Ce mardi, jour du procès, ils vont aussi lancer «une campagne de désobéissance par le refus systématique d’obtempérer et de paiement des amendes sur les routes», selon la presse locale.
Déjà le 16 mai dernier, jour du procès qui a été renvoyé au 23 mai, de violents affrontements avaient eu lieu lundi et mardi derniers dans la ville de Ziguinchor et d’ans d’autres endroits entre les partisans de Sonko et les forces de l’ordre. On déplorait 3 morts, dont un policier qui a été fauché par accident par un véhicule des services de l’ordre. Des manifestations ont occasionné plusieurs pertes matérielles. Un bus de l’université Assane Seck a été incendié. De même le service de l’élevage a été saccagé et un de ses véhicules de fonction a été également incendié par les manifestants, selon la presse locale. Suite à ces incidents, les autorités sénégalaises ont décidé de suspendre pendant près d’une semaine, du 19 au 25 mai, dans la région de Ziguinchor les cours dans les écoles, établissements et centres de formation professionnelle .
Ziguinchor, dont M. Sonko est le maire et où il s’est retiré depuis plusieurs jours, a été en proie à des affrontements entre jeunes supporteurs de Sonko et forces de l’ordre. Les jeunes protestaient contre le procès et voulaient faire barrage autour de son domicile à une éventuelle intervention policière pour le traîner de force devant le tribunal. Sonko, arrivé troisième de la présidentielle de 2019, a toujours clamé son innocence et crié au complot du pouvoir pour l’écarter de la présidentielle en 2024. Il a annoncé récemment qu’il ne répondrait plus aux convocations de la justice.
Toutefois et devant la pression qui pèse sur lui en cas de refus de comparaitre devant la justice et d’être jugé par contumace, ce qui menace son éligibilité pour le scrutin du 25 février, Sonko a réclamé, vendredi dernier des garanties sur sa sécurité personnelle pour assister à ce procès pour « viols présumés » .
« Le jour où on me donnera des garanties, je viendrai à Dakar et mardi je serai au tribunal. Si toutes les conditions (de sécurité) sont remplies, je répondrai présent », a dit Sonko dans une interview à la télévision locale « Walf TV ».
A Dakar, les forces de l’ordre « m’ont fait subir des violences, des brutalités. Ma maison est barricadée et on a tenté de m’assassiner », a-t-il dénoncé.
« Je suis pourchassé partout. J’ai été blessé. Mes militants reçoivent des bombes lacrymogènes ou sont arrêtés par centaines. L’institution judiciaire ne doit pas être le bras armé de l’exécutif pour éliminer un candidat à la présidentielle » de 2024, a ajouté Sonko.
Le leader de Pastef et membre de la coalition Yewwi Askane Wi (libérer le peuple en Wolof) , placé sous contrôle judiciaire depuis mars 2021, a indiqué en outre n’avoir reçu de la justice « aucune convocation » pour son procès pour « viols et menaces de mort » présumés.
«Que rien ne sera plus comme avant quand je me rends au tribunal. Qu’on me laisse comparaitre librement sans être escorté de policiers ou de gendarmes», a-t-il déclaré.
Lui répliquant, le Porte parole du gouvernement Abdou Karim Fofana, a affirmlé que Ousmane Sonko « n’a aucune condition à poser » au sujet de sa comparution de mardi.
« Quand on est convoqué devant une chambre criminelle, on n’a pas de condition à poser », a dit Fofana.
« Ousmane Sonko ne peut être au dessus de la loi… C’est encore de la manipulation. Si Ousmane Sonko décide de se comporter en justiciable de bonne foi, il n’a qu’à aller au tribunal… et aucune action ne sera tentée par les Forces de l’ordre. Par contre, s’il décide de troubler l’ordre public, les forces de défense et de sécurité agiront conformément à la réglementation dans leurs compétences de maintien de l’ordre public », a ajouté le responsable sénégalais.
Selon des analystes, si l’accusé ne se présente pas devant le tribunal de Dakar, il sera jugé par contumace.
Sonko avait déjà été condamné en appel le 8 mai dernier à six mois de prison avec sursis dans une autre affaire pour « diffamation » et « injures publiques » contre le ministre du tourisme. Cette peine, à elle seule, pourrait le priver de son éligibilité à la présidentielle de 2024 si elle est confirmée en cassation.
En mars 2021, l’interpellation de Sonko alors qu’il se rendait au tribunal de Dakar dans l’affaire de « viols présumés », avait contribué à déclencher plusieurs jours d’émeutes qui avaient fait des morts.
Selon les observateurs, une éventuelle condamnation par le juge de l’opposant à une peine qui affecte son éligibilité à la prochaine présidentielle pourrait conduire au déclenchement de nouvelles violences dans ce pays et ce, à quelques mois de la Présidentielle de février prochain.