Zoom. Nigeria. Banditisme et djihadisme, une alliance qui inquiète
Les autorités du Nigeria s’inquiètent d’un rapprochement entre les jihadistes de l’Etat islamique, présents dans le nord-est du pays, et les bandes criminelles qui multiplient les enlèvements de masse dans le nord-ouest, à des centaines de kilomètres de là.
Ce rapprochement pourrait compliquer encore un peu plus la tâche des forces de sécurité du Nigeria, engagées à la fois contre les jihadistes dans l’Etat du Borno (nord-est), et contre les bandes criminelles du nord-ouest, dont les combattants sont appelés « bandits » par les autorités.
Le 23 juillet, une note du chef de l’immigration au Nigeria, Muhammad Babandede, consultée par l’AFP, s’alarme d’un important « mouvement de bandits de Zamfara dans le nord-ouest en direction du Borno en vue d’un entraînement intensif mené par Boko Haram ».
Les autorités nigérianes utilisent le mot « Boko Haram » pour désigner indistinctement tous les groupes jihadistes présents dans le nord-est du Nigeria.
« Du fait de cette information, vous devez intensifier la surveillance autour de votre zone en vue de recueillir des renseignements », ajoute cette note à destination de ses officiers.
L’insurrection jihadiste qui a commencé en 2009 avec les attaques du groupe Boko Haram, est désormais presque exclusivement menée par le groupe Etat islamique en Afrique de l’Ouest, l’Iswap.
Depuis mai et la mort du chef de Boko Haram, Abubakar Shekau, lors d’affrontements avec des combattants de l’Iswap, ces derniers ont consolidé leur contrôle sur le territoire du nord-est.
Or, selon les sources sécuritaires, l’Iswap a forgé d’étroites alliances avec les groupes criminels du nord-ouest du Nigeria.
Le Nord-Ouest et le Centre du Nigeria sont le théâtre depuis plusieurs années des activités de bandes de criminels qui attaquent, pillent et enlèvent les villageois, dont ils volent le bétail et brûlent les maisons.
Le déploiement de l’armée et la signature d’accords de paix ont échoué à mettre fin aux attaques des bandits, qui se cachent dans des camps dans la forêt de Rugu, qui s’étend sur les Etats de Niger, Katsina, Kaduna et Zamfara.
Depuis le mois de décembre, ces groupes lourdement armés se sont également reconvertis dans l’enlèvement de masse d’écoliers ou de lycéens contre rançon.
Ces bandits sont d’abord motivés par l’appât du gain, et n’ont a priori pas de motivation idéologique connue, mais des liens avec les groupes jihadistes existent.
Armes, enlèvements et rançons
Dans la plupart de ces alliances, les jihadistes s’enrichissent en vendant des armes aux bandits qui les utilisent ensuite pour mener des raids dans les villages et pratiquer des enlèvements contre rançons.
Mais « ce n’est pas une surprise que les bandits se déplacent dans le nord-est pour bénéficier d’entraînement du groupe Iswap », affirme à l’AFP une source sécuritaire dans la région, impliquée dans la lutte contre les gangs criminels.
« Plus les bandits forment des alliances avec les jihadistes, plus ils risquent de se radicaliser, réduisant ainsi les possibilité de passer des accords de paix avec les autorités », déplore-t-il.
Les échanges entre les groupes criminels et les jihadistes au Nigeria ne sont cependant pas nouveaux.
Il y a deux ans, le ministre de la Défense avait déjà alerté sur un rapprochement entre Boko Haram et les groupes présents dans l’Etat de Zamfara.
Awwalun Daudawa, le chef d’un des groupes responsables de l’enlèvement en décembre de 300 écoliers à Zamfara, était un ancien pourvoyeur d’armes de Boko Haram. Il a été tué en mai dernier lors d’affrontements avec un groupe rival.
Un autre groupe jihadiste, affilié lui à al-Qaïda, nommé Ansaru, est présent dans les Etat de Kogi et de Kaduna, et collabore souvent avec les bandits, selon une autre source sécuritaire.
Les jihadistes d’Iswap entretiennent depuis plusieurs années des liens forts avec des bandits de Zamfara, et ont des camps dans les forêts de cet Etat, selon des sources locales qui disposent de bonnes connaissances sur ces groupes.
Plusieurs accords de paix passés entre les autorités et ces groupes criminels ont été rompus sur ordre de l’Iswap ces dernières années, selon des sources impliquées dans la négociation de ces accords.
En 2018 l’Iswap avait par exemple fait assassiner le chef d’un groupe criminel dans l’Etat de Zamfara, considéré comme un obstacle dans l’expansion de son influence.
Le nouveau chef du groupe avait alors rompu l’accord négocié avec les autorités sur ordre de l’Iswap. La bande armée s’est ensuite relocalisée dans l’Etat voisin du Niger, d’où elle avait mené plusieurs enlèvements.
Avec l’élimination de Shekau, la collaboration entre les jihadistes d’Iswap et les bandits pourrait encore s’intensifier, selon ces sources.
« Shekau était un obstacle majeur », dit l’une d’elles, « maintenant qu’il est mort et que Boko Haram est soumis, la voie est libre ».
(avec Afp)