Au Niger, la stratégie du dialogue avec les jihadistes pour retrouver la paix
Faut-il négocier avec les jihadistes au Sahel? Fervent défenseur de cette ligne, le président nigérien Mohamed Bazoum a amorcé ces derniers mois des discussions avec des éléments du groupe jihadiste de l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) responsable d’attaques meurtrières récurrentes dans l’ouest du pays.
Depuis l’annonce mi-février par la France du retrait du Mali des forces Barkhane et européenne Takuba, Niamey redoute une nouvelle poussée jihadiste dans l’immense région enclavée de Tillabéri (ouest), dans la zone des « trois frontières ».
Dans cette région aux confins du Burkina et du Mali, où l’EIGS contrôle de vastes espaces, les combattants se sont déjà approchés à moins de 100 kilomètres de la capitale Niamey.
Jusqu’à mercredi, où l’attaque d’un bus et d’un camion a fait 21 morts, la région a connu récemment une relative « accalmie » dans les attaques, comme le reconnaissait Hassoumi Massoudou, le ministre nigérien des Affaires étrangères, mi-février.
Le président nigérien Mohamed Bazoum a amorcé une nouvelle approche « il y a trois mois » avec une « main tendue » qui s’adresse aux « jeunes Nigériens enrôlés dans les rangs de l’EIGS », affirme une source à la présidence.
Selon les rapports de plusieurs ONG, l’Etat islamique recrute au sein de la jeunesse nigérienne, en particulier chez les fils de pasteurs appauvris par les sécheresses récurrentes, l’expansion des terres agricoles et… les razzias de bétail opérées par les groupes armés.
Une négociation qui ne fait l’unanimité
Fin février, M. Bazoum avait annoncé avoir amorcé « des discussions » avec les jihadistes dans le cadre « de la recherche de la paix ».
Le chef de l’Etat a même libéré plusieurs « terroristes » détenus au Niger qu’il avait « reçu au palais présidentiel ».
Il a également envoyé « des émissaires auprès de neuf chefs terroristes » et assuré vouloir mener toute démarche « qui peut aider à alléger le fardeau sous lequel ploient les militaires » nigériens, qui paient un lourd tribut face aux jihadistes.
Ces émissaires sont des élus locaux, d’influents chefs traditionnels et religieux et des proches des jihadistes, a précisé à l’AFP un proche du président.
Si certains, comme Souley Oumarou, de l’ONG Forum pour une citoyenneté responsable (FCR), qualifient la libération de « terroristes », d' »erreur monumentale », l’initiative est plutôt saluée sur le terrain.
« De tous temps, nous avons dit qu’il faut discuter avec les compatriotes qui sont dans l’EIGS ou Al-Qaïda, voir ceux qu’on peut récupérer », soutient Boubacar Diallo, le président du Conseil des éleveurs du Nord Tillabéri.
Cette approche du président nigérien « est une piste pour véritablement régler la question du terrorisme qui ne peut pas se régler par des moyens militaires », a loué Bakary Sambe, directeur régional du Timbuktu Institute.
« En adoptant cette démarche le président Bazoum a voulu s’attaquer aux causes structurelles et établir un véritable dialogue avec les communautés », dit-il.
Le bâton et la carotte
Pour certains observateurs, le dialogue doit s’accompagner de mesures concrètes pour empêcher le recrutement par les groupes armés de se poursuivre.
« Il faut promouvoir le retour de l’Etat dans les zones délaissées », admet le général Mahamadou Abou Tarka, président de la Haute autorité à la consolidation de la paix (HACP, gouvernement).
« Il faut trouver des médiateurs crédibles pour recréer la confiance », pointe Boubacar Diallo, qui assure que de nombreux combattants jihadistes nigériens sont d’anciens membres d’une milice peule d’autodéfense dissoute en octobre 2011 par les autorités.
Une fois « désarmés », ces miliciens « avaient été délaissés » puis « récupérés par les groupes armés terroristes », raconte Boubacar Diallo, qui avait supervisé les opérations de désarmement.
Mohamed Bazoum a longtemps défendu cette stratégie de la « main tendue », lorsqu’il était ministre de l’Intérieur.
En 2016, elle avait débouché sur la reddition de dizaines d’anciens combattants de Boko Haram, actifs dans le sud-est nigérien et qui ont ensuite suivi un programme de déradicalisation et de formation professionnelle.
« Cette mission n’est pas impossible, à condition de convaincre les populations d’adhérer au dialogue et d’accepter de vivre avec leurs anciens bourreaux », commente Bello Adamou Mahamadou, un expert nigérien du Laboratoire ouest-africain de sciences sociales (LASDL).
La question du dialogue se pose également au Mali voisin. En 2020, l’ancien président Ibrahim Boubacar Keïta avait demandé l’envoi d’émissaires vers deux chefs jihadistes et le sujet refait surface après le départ de la France, qui s’est toujours opposée à une telle stratégie.
Pas question toutefois de laisser tomber la réponse militaire face aux jihadistes. M. Bazoum a annoncé une « montée en puissance » de son armée, dont les effectifs ont triplé de 11.000 à 30.000 hommes depuis 2011.
Quelque 12.000 soldats nigériens combattent dans une dizaine d’opérations antijihadistes dont près de la moitié le long des plus 1.400 km de frontières avec le Mali et le Burkina Faso, a-t-il révélé.
Et selon une source militaire, l’armée nigérienne va réceptionner « dans les prochains mois » des drones, des avions militaires et des blindés commandés à la Turquie.